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Les
villes comme espace de la consommation
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Ana ESPINOSA
SEGUI
Département de Géographie Humaine
Université d’Alicante
Espagne
Les
dernières décennies du XXème siècle et le début du
XXIème ont été marquées par une forte turbulence
économique, politique, culturelle à l’échelle mondiale,
provocant l’accélération des processus et innovations
qui de façon cyclique et naturelle ont lieu dans la
majorité des villes, afin de réadapter les structures
urbaines héritées aux nécessités du moment. Ces
transformations peuvent se résumer à une tendance à la
mondialisation des activités économiques et culturelles,
les pays occidentaux aux économies les plus avancées
maintenant une position évidente d’hégémonie et de
leadership par rapport aux économies les plus fragiles
et arriérées.
Si l’on considère le premier groupe de pays, ces
tendances économiques ont supposé une claire division
spatiale du travail, puisqu’en délocalisant leurs
traditionnelles activités primaires et industrielles à
d’autres pays aux revenus économiques plus favorables
pour les premiers, elles ont orienté les activités
productives de leurs propres pays et villes vers une
tertiarisation évidente de l’économie. Bien que les
processus de tertiarisation aient commencé dans les
années soixante et soixante-dix dans certains pays
d’Europe septentrionale et aux États-Unis, ce n’est que
dans la moitié des années quatre-vingt-dix, qu’on a pu
saisir avec plus de clarté le résultat final que le
réseau compliqué des activités tertiaires a tissé dans
la configuration des nouvelles villes.
Étant donné que la ville des services s’est substituée à
la ville industrielle, la production a laissé la place à
la consommation, et de cette façon, les processus qui en
découlent configurent de nouvelles relations au sein de
la société urbaine, et entre celle-ci et la ville.
Pratiquement, au cours des quinze dernières années, la
consommation s’est érigée comme une force économique
significative opérant dans les villes occidentales, tant
dans le commerce, le tourisme, la restauration, la
culture, le loisir, l’architecture ou le design urbain.
La nécessité de réadapter les espaces urbains
traditionnels et obsolètes aux nouvelles nécessités que
la consommation requiert dans la ville, a déclenché une
véritable compétition plus qu’internationale, urbaine,
pour arriver à attirer des résidents, du travail, du
capital et des visiteurs (Chevrant-Breton, 1997) dans
chacune de ces villes, qui s’insère ainsi dans des
marchés plus choisis, dynamiques, rapides, capitalisés
et en définitive, globalisés.
Les rénovations urbaines, les réhabilitations d’espaces
dégradés ou les grandes opérations de transformation
urbaine ont été les outils utilisés pour accroître les
différences entre les différentes villes et obtenir les
avantages compétitifs souhaités qui rendent ces
dernières différentes et uniques aux yeux des
investisseurs et des visiteurs. Cependant, les flux de
capital humain, économique, politique et culturel,
inhérents au processus de positionnement global des
villes occidentales, se déplacent et se développent
beaucoup plus habilement sur ces territoires, trouvant
dans les villes leurs moteurs les plus efficaces
d’expression et de propagation. Le résultat est
l’homogénéisation des formes urbaines et de
consommation, et la perte d’identité de la structure
culturelle et sociale précédentes. L’analyse de ces
processus toujours plus fréquents est le point de départ
de cette recherche. On va essayer d’exposer les tenants
et aboutissants de cette nouvelle configuration des
espaces dans les villes et chez les citoyens, véritables
agents impliqués dans ces processus.
Analyse bibliographique
A leur début, les études relatives à la consommation
urbaine des pays occidentaux ont été marqués par une
forte tendance à l’économisme. C’est pourquoi les
recherches quantitatives qui prétendent modéliser les
règles de consommation et de comportements des
consommateurs (Bacon, 1984) abondent sous l’influence
des théories rigides sur l’espace de Reilly ou
Christaller. Les événements qui se sont produits depuis
la fin de la décennie des années 1980 dans les sociétés
occidentales, et l’impossibilité pour ces théories
d’expliquer la majorité des processus existants dans les
villes, ont suscité le rapprochement des sciences
sociales de l’étude de la consommation, ce qui s’est
traduit par l’enrichissement, tant en volume qu’en
contenu, des recherches en la matière dans une
perspective plus humaine et sociale, sans oublier chez
aucune de ces disciplines, l’importance accordée aux
processus de globalisation.
Étant donné que la perception est une composante
importante de la consommation, le champ de la sociologie
a apporté de nombreuses recherches qui analysent plutôt
le comportement des consommateurs sur les marchés
urbains (Solé, 2003 ; Zukin, 1998, 1999,2004 ;
Chatterton & Hollands, 2003 Clarke, 2003 ; Zorilla,
1990 ; Baudrillard, 2001 ; Ritzer, 1996 ; Wyne&O’Connor,
1998), y compris, leurs répercussions dans la
restructuration des aires de consommation de la ville.
En ce qui concerne la Géographie, les études ont été
décisives, tant du point de vue de la Géographie du
Commerce (Bromley&Thomas, 1993), de la Géographie
urbaine (Soja, 2000, Van Kempen&Marcuse, 2000) ou de
celle du Loisir. L’importance capitale que présente
l’étude des espaces dans la consommation a été à
l’origine ces dernières années d’une fécondité de la
recherche dans cette discipline si l’on compare avec les
périodes précédentes. Si bien qu’aujourd’hui s’est
institutionnalisée une Géographie de la Consommation,
dont le champ d’étude concerne les paysages procédant
des activités de consommation (Jackson, 1999 ; García
Ballesteros, 2000). De même, les apports de
l’Architecture (Kumar, 2000) supposent une vision
souvent critique des nouvelles tendances homogénéisantes
du design urbain et de la morphologie de la ville.
Tous ces apports considèrent la ville comme un espace
dans lequel se concentrent toutes les formes de la
consommation, accordant du coup plus d’importance aux
activités ou à leurs formes qu’à la ville même.
Cependant, le suivi du processus de globalisation ayant
pour base les villes nous permet aujourd’hui de parler
du concept de ville en tant qu’espace de la
consommation. A ce sujet, les apports de Barbara
Czarniawska (2002), Paul Di Maggio et Walter Power
(1991) et de Jan Neverdeen (2004) ouvrent une autre
direction de travail qui se centre plus sur les
changements de la ville et est celle que nous allons
aborder dans cette recherche. Conformation de la ville
comme espace de consommation postmoderne. Comme
l’affirme Clarke (2003) dans « Consumer society and the
postmodern city » la consommation a été un instrument
utilisé par les économies capitalistes pour leur bon
fonctionnement et développement. Ainsi, l’augmentation
de la consommation dans la société actuelle et la
configuration des espaces urbains destinés à cet
objectif, est davantage une stratégie commerciale (Pecourt,
2001) développée par la globalisation qu’une tendance
naturelle de l’économie et de la société.
Déjà à l’étape productive des sociétés capitalistes, le
système économique en vigueur, basé sur la production
fordiste a promu une consommation de masse, standardisée
et homogène, et ce d’une manière démocratique, puisqu’il
a donné accès au marché des biens de consommation à une
ample majorité de la société. C’est ainsi que s’est
rompue la hiérarchisation sociale préexistante
auparavant, et qu’ont surgi les premiers paysages
urbains destinés à la consommation de masse tant dans
les villes comme dans les espaces suburbains. Dans la
ville, on a remarqué le déplacement du centre historique
d’une grande partie de l’activité commerciale vers les
aires centrales planifiées, généralisant l’offre et la
demande auprès d’un grand volume de population. Les
espaces suburbains, incarnés par des lieux plus
caractéristiques de la consommation fordiste : les
centres commerciaux, ont été mis en évidence car ce sont
des espaces absolument destinés à la consommation des
classes moyennes et populaires, du point de vue
résidentiel, par l’usage du territoire et par
l’augmentation de la mobilité individuelle.
Cependant, même si on considère cette période comme
l’embryon de la société de consommation actuelle, les
vrais mécanismes qui déterminent la réalité économique
présente sont plus liés aux récents processus
économiques, politiques et culturels induits par le
phénomène de la mondialisation ou globalisation. En
premier lieu, au cours des dernières décennies il y a eu
une forte croissance de la mobilité du capital au niveau
global, tant du point de vue humain, technologique,
culturel, (Zukin, 2004) qu’économique. Les conséquences
directes de ces mouvements se trouvent d’une part dans
les villes avec l’apparition d’un plus grand métissage
culturel, et d’autre part dans les sociétés d’origine et
de réception, avec un changement de perception des
différences culturelles et sociales existantes dans le
monde dû à une plus grande interaction et proximité
entre cultures.
On peut distinguer trois types de mouvement de
population qui affectent directement les villes. Les
mouvements migratoires internationaux des pays pauvres
vers les pays aux économies plus avancées, centrés
essentiellement sur la recherche de meilleures
opportunités de travail, sociales ou sanitaires,
déplacent un nombre croissant de personnes vers les
villes occidentales. Les installations de population
émigrée dans les villes tendent à reproduire les espaces
de consommation des pays d’origine de ces populations,
comme les commerces, les espaces sociaux et de
divertissement, les restaurants, dans le but
d’approvisionner les autres concitoyens et de créer une
nouvelle offre dans la ville où ils vivent.
[2]
En même temps, la diminution des coûts de communication
et par conséquent, la mort de la distance ont augmenté
les voyages à finalité touristique non seulement
nationaux mais internationaux pour un nombre toujours
plus grand d’habitants. Ce type de voyages suppose une
approche et une plus grande connaissance entre cultures
auparavant inconnues entre elles, qui se traduit ensuite
par une recherche et une répétition des règles de
consommation dans les pays dont sont issus les
voyageurs, créant de nouveaux vecteurs de demande, qui
dans de nombreux cas, sont captés par les commerces sus
mentionnés de la population émigrante.
Il existe un troisième type de mouvement de population,
suscité par les nouvelles relations économiques établies
entre des territoires de toute la planète, à cause de la
mobilité du capital économique et technologique. Ces
mouvements du capital technologique et économique
s’appuient sur les progrès des secteurs de
l’informatique et de la communication, en rapprochant
des marchés, le « e-commerce » (Ascher, 2001), des
stratégies et idées diverses une grande partie du monde,
et en étendant entreprises, investissements ou formules
commerciales transnationalisées à un large spectre de
pays. Les villes, dans ce sens, jouent un rôle de
premier ordre dans la captation de ces capitaux et leur
diffusion. L’acquisition du capital culturel est en
relation avec la connaissance accrue qui caractérise la
société des biens de consommation existants sur le
marché, ce qui fait que l’immersion dans la consommation
a suscité l’apparition de bibliographies, programmes de
télévision ou guides de la consommation qui aident les
consommateurs à différencier les produits en les
familiarisant avec ces derniers.
En second lieu, la plus grande facilité des mouvements
de capitaux déjà cités induit une compétitivité accrue
entre les pays et les villes les plus représentatifs du
panorama économique pour attirer ces capitaux. C’est la
raison pour laquelle dans l’étape actuelle fordiste, la
ville se trouve dans une permanente production et
redéfinition de son image (Zukin, 2004). Ainsi, la
nécessité de remplacer des environnements épuisés par
d’autres, dont la nature soit plus adéquate aux services
postindustriels (Savitch& Cantor, 2002), et qui
répondent mieux aux besoins des travailleurs,
investisseurs, touristes ou professionnels des services
devient de plus en plus prégnante.
En troisième lieu, une fois que la production des biens
a été déplacée vers d’autres villes et pays, la nouvelle
ville occidentale dépend plus que jamais de la
production de consommateurs irremplaçables à la survie
de son économie (Baudrillard, 2001). Ainsi s’est
accéléré le besoin d’insérer encore plus la société non
seulement dans le monde des biens de consommation, mais
dans celui des services en lui apprenant à vivre dans
une société de marché (Zukin, 2004), et en lui montrant
cette consommation comme l’unique pont ou lien que le
citoyen postmoderne peut avoir avec sa ville ( Miles &
Paddison, 1998).
Sans doute serait-il trop catégorique d’affirmer que ces
changements ont été provoqués par les processus de
mondialisation ou globalisation en vigueur aujourd’hui,
alors que le mélange commercial, culturel et économique
existe dans la plus grande partie des sociétés urbaines
depuis longtemps. Mais le changement fondamental qui
nous permet de parler d’un nouveau système urbain est
que ce mélange ne se présente pas dans l’actualité comme
un processus, mais comme une image (Neverdeen, 2004),
qui dans son ambigüité, marque la ville de façon
définitoire. La conjonction de tous ces processus déjà
signalés déterminent deux phénomènes contraires et en
même temps complémentaires : diversification et
homogénéisation.
L’enrichissement culturel et social que suscite la
coexistence de plusieurs sociétés dans la ville, la
convertit en un microcosme de la consommation, donnant
lieu à une très grande variété positive de formes et
modèles de consommation, tendant à une offre et une
demande de produits procédant de n’importe quelle partie
du monde et à des établissements plus individualisés (
Zukin, 2004).
Mais ces processus de globalisation opèrent
simultanément dans d’autres directions, car la
compétitivité nécessaire entre villes a entraîné une
rénovation morphologique et fonctionnelle des espaces
les plus caractéristiques et originaux de chaque ville,
comme les centres historiques, les fronts maritimes, les
espaces centraux ou aires symboliques de la ville,
fondée sur les mêmes stratégies ( Savitch& Cantor,
2002). Les rénovations urbaines ont été faites en vue
d’un meilleur repositionnement urbain, et dans ce souci,
gouvernements, administrations locales, architectes et
urbanistes ont commencé à répéter, copier ou façonner
des formules à succès utilisées auparavant dans d’autres
villes de rang plus ou moins égal.
Le résultat est qu’une grande majorité des espaces
rénovés tendent aux mêmes rénovations morphologiques, à
la vente de la valeur architectonique, culturelle et
historique de l’espace comme objet de consommation
(Clarke, 2003) pour visiteurs, touristes ou simples
citoyens. Une fois la rénovation achevée, la
revalorisation de ces aires provoque une expulsion
directe des établissements de consommation traditionnels
et l’arrivée de firmes commerciales multinationales,
plus solides économiquement et connues des
consommateurs. Ce type d’établissements est arrivé à se
convertir en moteur de rénovation urbaine, dominant
certains espaces et le caractère des villes (Milles,
1998).
A d’autres occasions, lorsqu’on a pu sauver le caractère
des espaces centraux, la croyance que l’une des
meilleures garanties de succès de cet espace est
l’adoption de ces mêmes établissements de consommation
transnationalisés fait que des formes de commerce, de
loisir et de service internationalisés se combinent à
des paysages symboliques et de grande signification
locale. Ce type de processus se dénomme localisation
globale (Neverdeen, 2004) ou déplacement local (Zcarniaswala,
2002), mais en définitive, le résultat est la
conformation d’espaces hybrides (Neverdeen, 2004),
mixtes dans leurs formes et contenus, qui ne
représentent pas la ville, mais qu’on ne peut pas non
plus classifier comme standardisés.
Les problèmes plus sérieux que posent ces paysages
mixtes dans la ville se trouvent dans les relations que
les citoyens entretiennent avec le milieu urbain et dans
le changement de leurs habitudes de consommation. En
tenant compte du fait que la consommation est le mode le
plus fréquent à travers lequel la société interagit avec
la ville (Zukin, 2004 ; Clarke, 2003 ;Miles& Paddison,
1998), la plus grande convergence des espaces les plus
représentatifs de consommation urbaine transforme les
règles de comportement et de consommation de l’ensemble
des sociétés. Les consommateurs sont déjà tellement en
relation avec les marques, succursales et établissements
franchisés que s’est crée un instinct pour éviter
l’inconnu( Schlosser, 2001), qui se répercute très
négativement tant sur les établissements des service
indépendants comme sur les paysages urbains qui sont en
train de cloner leurs aires centrales (Catalano). En
plus, cette homogénéisation est en train de diluer les
cultures et traditions urbaines locales, ainsi que les
symboles qui définissaient chaque ville auparavant.
La nouvelle conception de la ville comme espace de
consommation est en train de créer des espaces
analogues, sans différences régionales, qui finissent
par désorienter les consommateurs et les citoyens. Même
si des tendances contraires existent, on l’a déjà
souligné, l’homogénéisation des paysages de la
consommation des espaces centraux de la ville se
présentent comme une des images les plus confuses et
ambigües de la post modernité. La volonté de beaucoup de
villes d’être spéciales et différentes des autres a
provoqué un phénomène contraire, donnant lieu aux mêmes
processus d’homogénéisation et de standardisation que
ceux à l’œuvre autrefois à propos des établissements et
des produits.
Ana ESPINOSA SEGUI
Département de Géographie Humaine
Université d’Alicante
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