Aujourd'hui les mythes ont la vie dure et les mythes sur le changement ne
font pas exception. Le changement est un élément omniprésent dans l'exercice du
management. Le proverbe qui dit " plus cela change plus c'est la même chose"
exprime avec une admirable précision la relation paradoxale qui existe entre la
permanence et le changement. Lorsque l'on parle de changement souvent on oublie
l'essentiel, c'est à dire que la permanence et le changement doivent être envisagés
ensemble malgré leur nature apparemment opposée.
Il s'agit d'un domaine d'une brulante actualité. Presque tous les dirigeants
d'entreprises se posent des questions du type : "Comment adapter les hommes et
l'entreprise au monde qui change" ? Alors, que faire pour changer les choses ?
Car laisser faire les évènements cela signifie les changer en pire. En règle générale, ce sont les périodes de crise où éclate une fracture entre
les modes de vie, les organisations et les valeurs des hommes. Brusquement les certitudes
s'effacent et les nouvelles formes d'esprit et d'action apparaissent. Elles permettent aux
managers de se révéler en véritables leaders.
Cette crise, génératrice des gisement de progrès, fait partie d'un phénomène
complexe semblant se réduire au seul aspect économique. En apparence, il s'agit d'une
réflexion banale, mais les causes de ces évènements sont masquées par les croyances et
les certitudes du passé. Les regards superficiels ne voient que la partie émergée et passent leur temps à
commenter les effets directs.
Quelle stratégie, pour quel changement ?
Le choix d'une stratégie de changement dépend essentiellement de la position dans
laquelle évolue une organisation. Les trois concepts stratégiques de base peuvent être
appliqués dans la conduite de différents changements, selon les enjeux en présence.
I. Déploiement de la stratégie directe
Le recours à cette stratégie s'opère uniquement lorsque une organisation n'a
aucune chance de se tirer d'affaire par les méthodes du management classique. Alors, il
s'agit de créer un processus de changement direct, sans ménagement des structures
d'organisation et sans tenir compte des résistances au changement. Aucune pièce
maitresse de l'ancienne ne doit être conservée en l'état, sauf ce
qui peut être réutilisé sous une forme nouvelle. Cette stratégie nécessite une
détermination d'acier des managers, car il est question de la survie de l'entreprise.
Le processus d'application de la stratégie directe
Il s'agit d'utiliser la pression des événements extérieurs pour imposer aux
acteurs de l'organisation, un changement radical. Les conditions de mise en uvre
d'un changement par la stratégie directe sont les suivants :
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S'assurer que toutes les autres
formules se sont avérées inopérantes face à l'ampleur des évènements. |
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Orienter l'action de
communication sur les causes d'origine externe pour légitimer l'envergure du changement
interne. |
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Discerner, à partir d'un
diagnostic socio-dynamique, les clivages entre l'antagonisme et la synergie afin d'éviter
les dérapages conflictuels inutiles, tout en augmentant les chances du succès. |
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Évaluer la capacité de cette
stratégie de changement à créer la synergie et la solidarité des femmes et des hommes
"positivement réactifs". |
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Analyser rationnellement toute
évolution de la situation pendant la phase de transition et lancer immédiatement les
plans d'action correctifs si des obstacles surgissent. |
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Prévoir pour chaque action
engagée, au moins deux tactiques de rechange, au cas où les choses tournent mal. |
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Concevoir, rendre public et
respecter la mise en uvre d'une nouvelle stratégie post-crise. C'est elle qui fera
prendre conscience que les efforts d'aujourd'hui seront récompensés demain. |
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Effets produits
par la stratégie directe au sein de l'organisation
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Défense des positions stratégiques vitales pour l'entreprise et ce jusqu'à
l'extrême limite des possibilités. |
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Ébranlement du pouvoir hiérarchique si l'opération du changement finit par
capoter. |
Ancrage des valeurs essentielles
sur lesquelles on ne transige pas:
la pérennité de l'entreprise, l'esprit offensif, la qualité ... |
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Surconsommation des énergies auprès du personnel, des
actionnaires, des partenaires sociaux, des client. |
Établissement des nouvelles règles du jeu auxquelles tous les acteurs sont
obligés à se référer. |
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Enlisement dans une voie dont on ne peut d'aucune façon être totalement certain
de sa réussite. |
Consolidation synergique des équipes composées d'hommes convaincus mais aussi
d'indécis. |
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Création de dépendance et de distance entre les différents niveaux
hiérarchiques. |
Rebondissement du leadership à tous les niveaux de l'organisation. |
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Le choc qui laisse des traces durables dans la mémoire de tous. |
Aboutissement à un succès décisif par le courage d'oser appliquer une stratégie
à haut risque. |
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Nécessité de prendre en compte et de manager le passif conflictuel, à court et
à moyen terme. |
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II. Déploiement de la stratégie indirecte |
Cette stratégie privilégie des changements délimités dans l'espace et le temps. La
stratégie indirecte n'a pas la prétention de faire une révolution. elle a pour objectif
d'améliorer le système existant par une mobilisation massive des hommes et des femmes
sur des objectifs tels que la qualité, l'organisation commerciale, la productivité. Il s'agit d'une action systématisée sur chacun de ces aspects pour renforcer leur
dynamique fonctionnelle. Elle s'appuie sur les forces synergiques, ainsi elle isole les
forces antagonistes au changement. Il y a synergie avec les forces coopératives et
non-synergie avec les opposants. |
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Le processus d'application de la stratégie indirecte |
Il faut concentrer l'action sur une priorité stratégique, définir les moyens de
sa mise en uvre, répartir les forces en déployant environ deux tiers d'énergie à
manager le projet de changement grâce au soutien des collaborateurs synergiques, l'autre
tiers d'énergie est utilisé à maîtriser les forces antagonistes. Les principaux axes
opérationnels sont les suivants :
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Effectuer un
diagnostic socio-dynamique global pour identifier les collaborateurs synergiques
susceptibles d'adhérer au projet et les antagonistes qui résistent. |
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Créer un centre de coalition
stratégique avec les leaders du camp synergique avec lesquels seront prises les
décisions opérationnelles. |
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Définir avec précision les
objectifs et les plans d'action en impliquant à fond tous les collaborateurs
synergiques. |
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S'appuyer uniquement sur le
noyau dur des hommes décidés et fortement attachés au projet. Renforcer l'action de
soutien en faveur des alliés par la formation, la conception, l'information, la
considération. Il s'agit d'un investissement permanent pour consolider la synergie. |
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Manager le groupe synergique en
lui procurant une identité par des actions communes : groupes de travail, participation
à l'animation de sous-projets, conférences, activités sportives. |
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Traiter les opposants au projet
hors des voies de la stratégie adoptée en excluant formellement toute agressivité,
réprimande ou critique à leur égard. |
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Utiliser chaque évènement pour
resouder la coalition mais aussi pour isoler ou retourner les adversaires. |
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Effets produits
par la stratégie indirecte au sein de l'organisation
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Consolidation de l'identité du groupe synergique autour d'un projet de changement. |
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Usure de la coalition si elle ne parvient pas à contenir les forces antagonistes. |
Obligation de construire une véritable stratégie de management claire,
cohérente. |
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Déclenchement de luttes de pouvoir entre les managers travaillant sur le même
projet. |
Élargissement de la synergie et de la réactivité collective sur un vaste
dénominateur commun. |
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Difficulté à créer une cohérence globale entre différents grands
projets. |
Attirance vers le tourbillon-synergie des collaborateurs hésitants. |
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Désignation des coupables si le projet se transforme en débâcle. |
Utilisation des idées constructives du camp antagoniste, s'il y en a qui doivent
être intégrés au projet. |
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Démotivation des collaborateurs trop sensibles qui risquent de voir partout la
manipulation. |
Renforcement du leadership des managers du '' camp coalisé''. |
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Obligation d'aboutir aux succès rapides sans démobiliser. |
Développement de l'inter-influence constructive entre la
direction et les équipes. |
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Démarche difficile à faire assumer par les collaborateurs ayant une vision
étroite de la stratégie. |
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III. Déploiement de la stratégie d'anticipation |
Cette stratégie agit par enveloppement. Elle exige beaucoup d'intelligence et
surtout de patience. C'est un long ouvrage du manager qui avance par des actions
différentes convergeant de plus en plus, de la périphérie vers le centre de l'objectif
de changement.
Les actions se multiplient, se connectent, s'enveloppent mutuellement, dévoilant
ainsi l'essentiel de la vision stratégique. L'ensemble de ces actions multiples forge un
nouveau modèle culturel à la fois cohérent et puissant qui se substitue progressivement
à celui qui l'a précédé. |
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Le processus d'application de la stratégie d'anticipation
Il s'agit de changer les hommes et l'organisation par une succession permanente
d'évènements produits par des actions volontaires. Ensuite opérer les connexions entre
ces évènements pour modifier de façon progressive la culture de l'entreprise toute
entière :
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Opérer un état des lieux par
un diagnostic socio-dynamique. |
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Déceler les thèmes supports de
la stratégie et les principaux leviers de changement. |
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Élaborer les grilles de
connexion stratégique, par unité, par thème, par projet, par effet que l'on cherche à
produire, à partir de chaque action. |
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Créer une implication totale de
l'équipe dirigeante et obtenir un engagement infaillible de toute la ligne hiérarchique. |
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Insuffler à tous les acteurs de
changement la valeur militante pour qu'ils assument au mieux leur rôle '' d'influence
stratégique '' au moment décisif. |
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S'appuyer sur des valeurs ''
universelles '', celles qui ont résisté aux épreuves du temps, conformes aux objectifs
poursuivis et aux thèmes de changement. |
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Assurer un suivi permanent par
l'équipe de pilotage, sous la responsabilité directe du directeur général, qui analyse
les actions réussies et qui corrige les opérations ratées. |
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Développer chez chaque manager
un état d'esprit réactif, possédant le culte du métier, peu sensible aux incertitudes
dues au redéploiement permanent. |
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Soutenir les initiatives pour
qu'elles réussissent à tout prix. |
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Effets produits
par la stratégie d'anticipation au sein de l'organisation
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Réalisation d'une solide cohérence dans l'action pour aboutir à l'unité
d'effort face aux enjeux. |
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Risque d'enlisement dans le temps car l'aboutissement est souvent long. |
Implication à très haut niveau des collaborateurs. |
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Investissement en temps important à moyen terme. |
Résolution d'un vaste champ de problèmes d'origine souterraine et irrationnelle. |
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Déstabilisation de tous les cadres qui voient dans cette stratégie les risques de
perdre leur pouvoir. |
Peut être utilisée en tant que support pour la mise en place d'un projet
d'entreprise. |
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Sentiment d'incertitude de ceux qui n'on pas pas une vision claire sur la
stratégie poursuivie. |
Accroît le sens des responsabilités et l'esprit de compétences maîtrisées. |
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Tentation d'initiatives spontanées, maladroites, incohérentes qui peuvent semer
le désordre. |
Instaure la légitimité du leadership des managers qui ont eu l'audace de
s'engager dans cette stratégie. |
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Manifestation des attitudes de résistances passive chez certains collaborateurs
déstabilisés. |
Favorise la réactivité de tous et intègre les attentes de l'ensemble des acteurs
et de l'environnement. |
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Nécessite le développement de l'esprit d'action chez ceux qui ont peur de
s'engager. |
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Par Yves JAUCYER |
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